C’est toujours pour moi une expérience particulière de me rendre au festival MUTEK dans un esprit de découverte. Au terme d’une semaine de plongée immersive dans la matière sonore et les expérimentations visuelles de toutes sortes, petit tour d’horizon d’un festival qui ne cesse de se réinventer.
Révolution technologique, culture web et nouvelles pratiques
À l’occasion du 375e anniversaire de Montréal, des 150 ans du Canada et des 50 ans de l’Expo 67, la nouvelle formule Inter-connect a permis aux métropoles de Londres, Berlin, Barcelone et Mexico de présenter le meilleur de leur créativité numérique.
Sur ces plateaux, j’ai découvert Graham Dunning, artiste plasticien qui créé de toutes pièces de la mechanical techno en superposant des platines vinyles qu’il manipule en temps réel. Il produit de manière astucieuse des sons par le jeu de la poussière, des débris, rayures et la manipulation d’objets. Une expérience délicieusement bruitiste qui flirte avec le noise et la musique industrielle. Innovant!
Myriam Bleau a présenté Soft Revolvers, un dispositif original qui lui permet de sculpter les sons instantanément à l’aide de toupies en acrylique transparentes. En jouant sur le toucher, la vitesse et l’intensité de ses mouvements, elle produit une œuvre majeure dans le domaine de la musique concrète et acousmatique et renouvelle la façon traditionnelle de jouer de la musique sur scène.
Dans un autre registre, Émergence, le nouveau projet de Max Cooper a nécessité trois ans de recherches et une collaboration d’envergure avec des artistes, des scientifiques et des mathématiciens. Issu d’une profonde réflexion sur le rapport de l’homme à la nature, Cooper réussit ici à concilier musique, science et visualisation de données et m’a entraîné dans un voyage hypnotique au cœur de la matière.
Éloge de la lumière et rétro-futurisme
Les performances visuelles présentées en avant-première durant la série A/V vision sont toujours très prisées des festivaliers. J’ai été ébloui par les deux performances immersives de Robert Henke et Sculpture.
Équipés sur scène d’un arsenal savant de magnétophones à bobines, de lecteurs-cassettes et d’un mini studio audiovisuel, Dan Hayhurst et Reuben Sutherland du duo Sculpture ont donné naissance à un cinéma d’un genre nouveau. En utilisant les techniques du Zootrope et du Kaléidoscope, ils proposent un voyage hallucinatoire dans le temps avec un répertoire visuel délirant, empruntant autant à l’imagerie populaire qu’au design de la culture Internet. Follement inspirant à l’heure du tout numérique!
Ingénieur du son, artiste visuel renommé, co-inventeur du logiciel de référence Ableton Live, Robert Henke alias Monolake a élaboré une heure durant un dialogue extraordinaire entre 4 lasers et son électronique de pointe. Henke maîtrise à la perfection le son et la lumière et donne à l’ensemble une dimension à la fois poétique et scientifique. Unique en son genre!
Quand MUTEK se transforme en village global
La démocratisation du home studio à l’échelle planétaire et l’avènement d’Internet ont eu un impact sans précédent dans la production musicale, l’accès aux artistes et la diffusion au grand public. En moins de 10 ans, une multitude de nouvelles scènes affiliées au phénomène global bass sont apparues et sont plus prolifiques que jamais.
J’ai ainsi découvert le collectif mexicain NAAFI “No Ambition And Fuck-all Interest” et sa série Noche de Ritmos Periféricos. Ces artistes se distinguent par une approche du mix spontanée, une tendance très prononcée pour le mashup et un son intrinsèquement urbain, brutal et souvent extrême.
Une des vedettes du festival très attendue après le succès retentissant de son album Prender el alma, Nicola Cruz, a régalé la foule avec son mélange de musique traditionnelle andine et d’électronique contemporaine aux accents dub. Il participe depuis plusieurs années à l’émergence de la scène cumbia digitale avec en tête de file le label argentin Zizek records.
Les révélations canadiennes et internationales du festival
Si je dois citer mes plus belles découvertes du festival, c’est sans conteste aux Japonais Anchorsong et Kuniyuki que j’attribue la palme! Ces deux grands magiciens du rythme font basculer les frontières et composent avec génie. J’ai senti lors de leur passage sur scène une véritable générosité de leur part et un réel amour de la musique.
Certain(e)s artistes savent par ailleurs s’affranchir des étiquettes et faire preuve de convictions. J’ai apprécié la performance inclassable de la française rRoxymore et l’électronique jouissive et décomplexée d’Oren Ratowsky alias Revlux du collectif Booma.
À noter également les très belles découvertes de Loose excursions et Space Afrika entre dub-techno et montées acid. Sans oublier le duo hollandais Detroit Swindle et leur techno-funk festive, un des meilleurs spectacles du festival de mon point de vue avec celui de Lady Starlight et Surgeon.
Je ressors grandi et inspiré de cette 18e édition ouverte sur le monde. Le festival MUTEK à l’image de la ville de Montréal ne cesse d’évoluer et d’explorer ses possibilités sur la plan de la création et de la diversité. Que nous réserve 2018?